Par Bugandwa Zigabe Innocent

Après la fin du partenariat FCC-CACH, le président de la République a pris une ordonnance nommant les membres du gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation le lundi 12 avril 2021.

Cette ordonnance est le fruit d’âpres négociations entre le CACH et les plateformes politiques ayant adhéré à l’Union Sacrée de la Nation Congolaise.

Ces nominations ont suscité de vives réactions au sein de l’opinion congolaise traumatisée par les guerres, et victime de détournements des deniers publics et donc décidée désormais à appliquer un vetting aux personnes appelés à exercer de hautes fonctions au sein des institutions nationales.

Malheureusement ce souci légitime de Vetting est altéré par des doutes sur la nationalité de certains ressortissants de l’ancienne province du Kivu.

En effet, des esprits malveillants, profitent de l’ignorance de l’ethnologie, de l’histoire du peuplement de l’Est de la RDC par les populations kinoises parmi lesquelles malheureusement de nombreux prétendus intellectuels pour créer le doute sur l’identité de l’un ou l’autre membre du gouvernement et lui refuser l’exercice de ses droits politiques.

Tel a été le cas du général Gilbert Kabanda. Après sa nomination comme Ministre de la défense nationale et des anciens combattants, les réseaux sociaux et la presse ont été inondés d’informations faisant état de son implication dans les crimes graves commis à l’Est de la RDC pendant les rebellions et mettant en doute sa nationalité congolaise. 

Le but de cet article n’est pas de revenir sur ce débat, du reste inopportun aux tendances xénophobes mais de mettre en évidence l’importance ultime que doit accorder le gouvernement congolais à la question de l’identité juridique des personnes qui résident sur son territoire.

En effet, les accusations mises à charge du général Kabanda mettent en exergue le fait que le gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation ou « des Warriors » devrait se pencher prioritairement sur l’identification de la population (congolaise et étrangère).

Ce qui implique qu’il devrait améliorer sa perception des activités d’identification de la population et prendre à bras le corps les initiatives en cours de renforcement du système d’enregistrement des faits d’état civil et d’identité juridique.

Nul n’ignore que le système congolais d’état civil a été détruit par les guerres récurrentes d’après l’indépendance du pays, lesquelles guerres ont pris une dimension identitaire à partir des années 1990. Les Bureaux et les registres de l’état civil ont été brulés, la population a perdu tout intérêt pour la déclaration des faits d’état civil auquel elle n’avait recours que de façon purement opportuniste. (Donner une certaine ampleur à un mariage, le besoin d’un acte de naissance exigé par les chancelleries occidentales pour accorder un visa, bénéficier des allocations familiales etc).

Le système a commencé à renaitre de ses cendres grâce aux organisations humanitaires vers la fin des années 1990.

Quelques registres ont été produits, des officiers de l’état civil ont été formés. Mais à ce jour, le système congolais d’enregistrement des faits d’état civil et d’identité juridique reste très fragile.

Un rapport des Nations Unies et des évaluations réalisées entre 2015 et 2018 par la Banque Mondiale ont estimé que ce système est insatisfaisant.

Ceci malgré les réformes et les engagements financiers et techniques des partenaires dont la Banque Mondiale, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique, l’Unicef, le UNHCR, l’UNFPA, l’Ambassade du Canada et d’autres encore.

Cela est dû essentiellement à une faible appropriation par les politiques qui n’arrivent pas à le concevoir comme un outil indispensable de sa gouvernance politique, économique, sécuritaire et sociale.

Si « le gouvernement des Warriors » s’imprègne de l’importance de l’état civil, de l’identité juridique et de la production des statistiques vitales, peut-être mettra-t-il enfin en place un cadre de coordination et allouera-t-il des ressources conséquentes au système.

Contrairement aux gouvernements précédents, il s’appropriera la vision du chef de l’Etat quant à l’état civil, vision exprimée lors de son investiture en janvier 2019.

Les lignes qui suivent présentent sommairement les fonctions essentielles d’un système d’état civil et d’identité juridique.

On reconnait habituellement à l’état civil trois fonctions essentielles à savoir la fonction juridique, la fonction statistique et la fonction collaborative.

En ce qui concerne la fonction juridique, l’état civil est un mécanisme d’établissement de la personnalité juridique des individus. C’est grâce à lui, que les personnes vivant en RDC sont reconnues comme jouissant des droits et pouvant être débitrices des obligations.

Dans le cas du général Kabanda, de nombreuses personnes de mauvaise foi se sont limitées à la résonnance du nom Kabanda pour établir qu’il est rwandais.

D’autres soutiennent que la page 114 du Rapport Mapping contient le nom Gilbert Kabanda et par conséquent, cet homme cité parmi les criminels de guerre ne saurait en aucun cas exercer les fonctions du ministre de la défense en RDC.

Il y aurait vraisemblablement une confusion entre le nom du général Kabanda et celui d’un officier de l’APR qui serait nous dit-on en dissidence avec le régime rwandais et aurait trouvé refuge en Afrique du Sud.

Par ailleurs, le curriculum vitae du général Kabanda démontre à suffisance qu’il ne pouvait être localisé à l’Est de la RDC pendant les guerres.

Le fait d’ailleurs, qu’il n’ait été porté au grade de général qu’en 2013 prouve à suffisance qu’il n’avait pas d’accointances avec les groupes rebelles.

En effet, tous les petits soldats qui ont combattu pour les mouvements rebelles se sont vus affublés des grades supérieurs (colonels, généraux) soit dès l’accession du Président Laurent Kabila au pouvoir en 1997 soit pendant la réunification.

Les rebelles ne se seraient pas privés de l’occasion de le faire admettre au grade de général s’il avait travaillé dans les zones qu’ils occupaient entre 1998 et 2003.

En réaction à ces accusations biscornues, au lieu d’utiliser son curriculum vitae et des témoignages très favorables mais insuffisants pour prouver sa nationalité congolaise, on aurait pu tout simplement brandir son acte de naissance.

Il est vrai que celui-ci n’est pas translatif de la nationalité et qu’il ne remplace pas le certificat de nationalité mais l’acte de naissance recèle tout de même des informations qui démontrent son appartenance au patrimoine humain de la RDC et donc son aptitude à exercer un mandat politique dans son pays (Article 12 du code de la famille), l’acte de l’état civil étant l’unique preuve de l’état d’une personne.

En effet, le code de la famille dans la structure du titre 1 de son deuxième livre, présente 3 modalités d’identification de la personne.  

Son nom qui sert à le désigner, son état civil qui contient ses données biographiques et son domicile/sa résidence qui aide à le localiser.

Si l’ONIP avait été suffisamment appuyé, la carte d’identité portant le numéro d’identification national du Général aurait suffi pour prouver sa nationalité.

En effet, le cas du Ministre de la défense prouve à suffisance que le nom ne suffit plus pour identifier et authentifier une personne. L’adresse est encore moins fiable dans notre pays.

D’autres éléments non compris dans le code de la famille de 1987 tel que révisé en 2016 doivent être adjoints au nom, à l’état civil et au domicile pour faciliter l’identification d’une personne.

Il s’agit des données biométriques qui peuvent être prises manuellement (empreintes digitales) ou avec le concours du numérique (les empreintes digitales, la reconnaissance faciale, vocale ou de l’iris etc). A ces éléments collectables grâce au numérique on peut ajouter le Numéro d’Identification Nationale (NIN).

Malheureusement, le code de la famille dans son état actuel ne réglemente pas la collecte, l’utilisation et le stockage de ces informations qui participent à l’individualisation de la personne, lui permettant ainsi d’exercer ses droits et de répondre personnellement de ses obligations et de ses responsabilités.

Devant cette carence, on assiste à une multitude d’initiatives d’identification biométrique y compris des enfants (élèves), lesquelles initiatives exposent la population à la cybercriminalité ainsi qu’aux atteintes à leur vie privée.

Le code de la famille est aussi muet quant à la collaboration entre les services de l’état civil et celui en charge de l’identification de la population.

On court le risque de superposer des services ayant la même mission, à savoir, assembler des éléments de l’identité de la personne.

D’où l’urgence d’enrichir le code de la famille et de doter le pays des textes de protection des données personnelles et de lutter contre la cybercriminalité.

Un projet de révision du code de la famille, perfectible d’ailleurs, a été déposé au bureau de l’assemblée nationale. Nous espérons qu’il contient ces informations très capitales.

On disposerait déjà de tous ces outils que le général Gilbert Kabanda et bien d’autres avant lui (Mobutu Sese Seko, supposé centrafricain, Joseph Kabila traité de Rwandais, Vital Kamerhe qu’on dit Burundais etc.) n’auraient pas été victimes de cet acharnement médiatique parfois relayé par des politiciens sans foi ni loi.

Par la fonction juridique disions-nous plus haut, l’individu est désormais titulaire des droits et débiteur des obligations. Il a désormais la capacité de jouir et d’exercer ses droits. Il s’agit des droits civils qui sont reconnus à la fois aux nationaux d’un Etat et à ses étrangers.

Ainsi l’individu peut-être propriétaire d’un immeuble, il peut la vendre, il peut détenir un compte bancaire, accéder aux crédits bancaires, solliciter et obtenir une carte SIM pour ses appels, souscrire à une assurance, exiger d’accéder aux soins de santé ainsi qu’à une éducation de qualité, exercer son droit au travail et à la sécurité sociale etc.

Il peut s’agir aussi des droits politiques que certains Etats réservent à leurs ressortissants ainsi qu’aux étrangers naturalisés.

Il en est ainsi du droit d’être éligible et électeur ou d’exercer un quelconque mandat public. La tendance dans notre pays ou la nationalité est malheureusement fondée sur l’appartenance ethnique, est d’anathématiser une partie de la population, de la traiter en étranger et donc insusceptible d’exercer ses droits politiques.

Le général Kabanda et les banyamulenge qui ont été nommés dans « le gouvernement des Warriors » en ont fait les frais tout récemment. 

Quoi qu’il en soit, les effets de la personnalité juridique nous ramène à la fonction collaborative ou administrative de l’état civil.

En d’autres termes, lorsqu’il jouit et exerce ses droits ou lorsqu’il est confronté à ses obligations, la personne physique entre en contact avec les services publics ou privés.

Il nait, se fait soigner et décède dans une formation sanitaire, il interagit avec le bureau de l’état civil et ou avec le tribunal pour obtenir ses actes de l’état civil (mariage), il va à l’école puis à l’université, il travaille au sein des entreprises privées ou publiques, il prend un crédit à la banque, il acquiert des biens mobiliers et immobiliers, s’il ne paie pas ses dettes ou commet une infraction, il affronte les services judiciaires, (la police, les tribunaux, le casier judiciaire), il peut accepter d’exercer un mandat politique comme devenir ministre de la défense nationale, il peut décider de voyager et doit pour cela coopérer avec le service d’hygiène, la Direction Générale des Migrations.

Il obtient son passeport aux ministères des affaires étrangères. S’il ramène des marchandises de son séjour à l’extérieur du pays, il sera abordé par la Direction Générale des Douanes et Accises, par l’OGEFREM. Si la qualité de ses marchandises est douteuse, il en répondra devant l’Office Congolais de Contrôle etc.

Tous ces services dits utilisateurs des données de l’état civil et d’identité juridique ont besoin d’authentifier la personne. Ils auront pour cela besoin de recourir à l’Office National d’Identification de la Population pour confirmer l’identité de la personne avant de lui rendre service.

Le Numéro d’identification national qui sera délivré à la naissance par l’Office National d’identification de la Population à travers les bureaux de l’état civil est un outil qui facilitera les interopérabilités entre ces différents services. Le cas échéant, ses données biométriques peuvent être sollicitées.

En gros, le service de l’état civil et d’identification de la population devrait être l’épine dorsale de la gouvernance d’un Etat qui se veut sérieux, démocratique et soucieux de lutter contre la criminalité et les fraudes de tout genre.

Le Premier Ministre qui dirige « les Warriors » devrait prioritairement renforcer ces services pour pouvoir exercer un contrôle effectif sur tous les ministères, grâce au numéro d’identification unique. Il serait ainsi assuré d’avoir une mainmise effective sur le système bancaire, le système fiscal, sur les assurances, sur la justice, la police et l’armée, les secteurs économiques et sociaux comme la santé, le système éducatif, la distribution de l’électricité et de l’eau à la population.

Ceci implique que la primature mette en place une instance de coordination de l’identité juridique, de l’état civil et de production des statistiques vitales qu’il préside personnellement pour s’assurer que l’amélioration des services d’état civil et d’identité juridique soit effective et efficiente.

Il doit par ailleurs accepter d’allouer un budget conséquent à ces activités. Des pays comme la Mauritanie, le Nigeria, le Malawi, le Rwanda, la Tanzanie, les Iles Maurice, le Botswana qui sont cités en Afrique comme des modèles des systèmes d’état civil, d’identité juridique et de production des statistiques vitales, affirment avoir récupéré en quelques mois, les fonds investis pour l’identification de sa population.

Grâce à cette activité, ces Etats ont une plus grande lisibilité de leurs ressources et peuvent planifier leurs actions en faveur de la population et contribuer ainsi à la réalisation des objectifs de développement durable. Il doit aussi soutenir la réforme du cadre juridique de l’état civil et de l’identité juridique.

En effet, l’atteinte des ODD d’ici 2030 n’est pas envisageable sans un système d’état civil et d’identification de la population performant. Ce système doit être en mesure de produire des statistiques fiables de sa population. On parle ainsi de la fonction statistique de l’état civil.

L’identification de la population n’est pas une activité ponctuelle comme d’aucuns le croit. Il ne s’agit pas d’un recensement de la population organisé en quelques mois. C’est le rôle de l’Institut National de la Statique d’organiser et de conduire de recensement scientifique qui sont par nature, des activités ponctuelles dont le but est de chiffrer la population et d’identifier les besoins dans certains domaines (Logement, transport etc).

Pour sa part, l’Office National d’Identification de la Population, en intersectorialité avec les services en charge de l’état civil, conduit un recensement administratif dont l’objectif essentiel est l’individualisation des personnes composant le patrimoine humain de la RDC et d’actualiser régulièrement pour ne pas dire quotidiennement, les statistiques démographiques.

Ceci est une activité permanente, qui doit sa pérennité à l’existence d’un système d’état civil fort et efficace.

Il est vrai que confrontés à certaines urgences liées au chiffrage de sa population, les Etats organisent des campagnes de recensement administratif.

Dans ce cas, il est préférable que la phase massive de l’enregistrement des populations ne dure pas longtemps et soit basé sur l’état civil. Il en va de la crédibilité et de la fiabilité des statistiques démographiques dont on doit régulièrement extraire les personnes décédées.  

Un moratoire sur les dispositions relatives aux processus d’enregistrement des faits d’état civil permettrait l’organisation de cette phase massive habituellement appelée « recensement à vocation d’état civil », en sigle le RAVEC.

La fonction statistique de l’état civil est aussi essentielle que la fonction juridique et collaborative. On ne saurait planifier efficacement la riposte aux maladies les plus meurtrières des enfants par exemple, si on n’enregistre pas les décès et les causes de décès.

On ne pourra pas non plus mettre en place des programmes sensibles au genre si on ne connait même pas les statistiques et les besoins de la gent féminine.

Les élections tant sollicitées par la population et que le Président de la République veut organiser d’ici 2023 ne sont pas envisageables sans un fichier général de la population basé sur l’état civil. Le fichier électoral devant être extrait du fichier général de la population.

La construction des infrastructures publiques : routes, écoles, structures de santé, l’aménagement de nouvelles villes, l’électrification etc. ne sont pas possibles sans une refondation de l’état civil et du système d’identification de la population.

C’est cette fonction statistique de l’état civil et de l’identité juridique qui doit nourrir la fonction collaborative. En effet, les différents secteurs de la vie nationale ainsi que les partenaires techniques et financiers de la RDC ont besoin d’avoir accès à ces statistiques officielles pour planifier leurs actions de développement, de sécurisation, d’autonomisation de la femme et de la jeune fille, de protection sociale de la population vulnérable, d’amélioration de l’accès l’eau potable et d’autres services sociaux de base. 

Ces statistiques produites par les services en charge de l’état civil et d’identité juridique sont mises à la disposition de l’Institut National de la Statistique pour analyse et publication.

Ces statistiques vitales, qui contiennent des données personnelles sont extrêmement sensibles et doivent être protégées.

Le projet de révision du code de la famille ainsi que le projet de loi sur la protection des données personnelles doivent prendre en compte l’impérieux besoin de protéger le secret statistique. Dans la même perspective, le décret n°10/05 du 11 février 2010 relatif au système statistique national devrait être actualisé et adapté aux standards internationaux.

Pour terminer, nous avons juste utilisé les accusations saugrenues portées contre le général Gilbert Kabanda, actuel ministre de la défense, comme prétexte pour présenter aux lecteurs, aux personnes intéressées et aux hommes de bonne volonté, l’importance de l’état civil dans la refondation d’une nation comme la nôtre. 

Ce faisant, nous avons survolé les trois fonctions essentielles d’un système de l’état civil et avons mis en évidence l’utilité individuelle et collective d’un système d’état civil, d’identité juridique et de production des statistiques vitales. Ce système protège en effet les droits individuels des citoyens tout en facilitant l’intersectorialité entre les ministères grâce notamment à la production et à l’utilisation des statistiques vitales.

Nous espérons que ce petit document de vulgarisation éveillera les sensibilités sur la question et que donc des actions seront prises au niveau de la présidence et/ou de la primature, pour d’une part, mettre en place une coordination des initiatives d’amélioration de notre système d’état civil d’identité juridique et des statistiques vitales, et d’autre part, pour allouer des ressources financières, humaines et matérielles conséquentes à ce système qui devrait être l’axe central de l’action gouvernementale.

Bugandwa Zigabe innocent, Expert juriste/Identité juridique-état civil-droits humains




Job KAKULE

Job KAKULE - 04/05/2021 00:10 - Répondre 

Bien.