![[Tribune] Nairobi, la cité refuge des stratégies congolaises (Fred Mastaki)](/media/posts/68efdc4e9d5c7717682486.jpeg)
Nairobi n’est plus seulement une capitale africaine. Pour les acteurs politiques congolais, elle s’est imposée comme un refuge discret des grandes manœuvres, un théâtre invisible où se décident alliances, candidatures et stratégies.
Quand Kinshasa devient trop étroite, trop surveillée ou trop exposée, les Congolais prennent la direction de Nairobi et c’est là, loin des micros et des caméras, qu’une part essentielle de l’histoire politique du pays s’écrit.
2018 : Genève, le point de départ
Tout commence à Genève, du 9 au 11 novembre 2018. Sous la médiation de la Fondation Kofi Annan, sept leaders de l’opposition congolaise à savoir Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Adolphe Muzito, Jean-Pierre Bemba, Freddy Matungulu, Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi se réunissent pour désigner un candidat unique contre le dauphin de Joseph Kabila.
De ce conclave naît la coalition LAMUKA, qui porte Martin Fayulu comme candidat commun. Mais cette désignation provoque une rupture immédiate.
Dès le lendemain, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se retirent de l’accord de Genève, arguant d’un désaccord sur la méthode et sur la représentativité.
Ce retrait marque la fin de l’unité de façade de l’opposition et ouvre la voie à une recomposition politique… qui s’écrira, quelques jours plus tard, à Nairobi.
23 novembre 2018 : Nairobi, berceau du CACH
Le 23 novembre 2018, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se retrouvent à l’hôtel Séréna de Nairobi.
Ils signent l’Accord de Nairobi, scellant la naissance du Cap pour le Changement (CACH), une nouvelle coalition.
Kamerhe renonce à sa candidature présidentielle et soutient Tshisekedi, en échange d’un engagement politique pour le poste de Premier ministre.
Ce pacte conclu loin de Kinshasa bouleverse le paysage politique congolais : il ouvre la voie à la victoire de Tshisekedi et à la première alternance parlementaire concrète depuis des décennies.
C’est là que Nairobi gagne son surnom officieux de “cité refuge des stratégies congolaises”, lieu neutre où se bâtissent les coalitions décisives.
2023 : Corneille Nangaa et l’Alliance Fleuve Congo
Cinq ans plus tard, la capitale kényane revient dans l’actualité congolaise.
Le 15 décembre 2023, l’ancien président de la CENI, Corneille Nangaa, y annonce la création de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une plateforme politico-militaire réunissant plusieurs figures de l’opposition et des groupes armés, dont le M23.
Cette déclaration publique, faite depuis Nairobi, symbolise une évolution : Nairobi n’est plus seulement un lieu d’accords politiques civils, mais aussi un laboratoire stratégique où coexistent alliances civiques et liens militaires.
Kinshasa y voit une trahison, et en août 2024, Nangaa est condamné à mort pour trahison et participation à un mouvement insurrectionnel.
Avril–mai 2025 : le retour de Joseph Kabila
En avril 2025, Joseph Kabila, ancien président de la RDC, met fin à deux années d’exil et revient à Goma et à Bukavu, deux villes symboliques de l’Est du pays.
Son arrivée relance les spéculations politiques : certains y voient un simple retour patriotique, d’autres un repositionnement stratégique face au pouvoir de Tshisekedi.
Son retour, accueilli par des sympathisants de l’AFC et des acteurs proches du M23, entretient le flou sur ses intentions réelles.
Mais une chose est claire : le centre de gravité politique du Congo continue de se déplacer entre l’Est et Nairobi.
Octobre 2025 : le conclave de l’opposition autour de Kabila à Nairobi
Après son retour dans l’Est, Joseph Kabila organise à Nairobi un conclave réunissant plusieurs figures de l’opposition.
Cette rencontre a pour objectif de réaligner les stratégies politiques contre le régime de Tshisekedi.
Le mercredi 15 octobre 2025, deuxième jour du conclave, les participants créent officiellement une nouvelle plateforme politique baptisée « Sauvons la RDC », et désignent Joseph Kabila comme président de cette initiative.
Comme pour le CACH en 2018, Nairobi offre un cadre neutre et discret, permettant aux leaders de recalibrer leurs alliances sans la pression de Kinshasa.
La ville confirme ainsi son rôle de laboratoire historique des stratégies congolaises, où se construisent alliances, ruptures et ambitions politiques loin des regards du public et des médias.
Nairobi : laboratoire du pouvoir congolais
De Genève à Nairobi, de LAMUKA au CACH, de l’AFC au conclave et la plateforme « Sauvons la RDC », Nairobi s’est imposée comme le miroir discret de la politique congolaise.
C’est à Nairobi que se forgent les alliances, se trament les ruptures et se testent les nouvelles configurations du pouvoir.
La ville est devenue un laboratoire officieux du destin du Congo, où les décisions se préparent loin des médias et du peuple.
Impact sur la scène politique congolaise
1. Démocratie et transparence affaiblies : les alliances conclues hors du territoire national peuvent fragiliser la perception de légitimité, surtout lorsqu’elles impliquent des acteurs armés.
2. Criminalisation et répression : Kinshasa a réagi juridiquement contre certains acteurs (procès, condamnations), polarisation accrue de l’espace politique.
3. Fragmentation de l’opposition : le passage de LAMUKA au CACH puis à l’AFC et à « Sauvons la RDC » montre une opposition en constante recomposition, parfois au détriment d’une stratégie démocratique cohérente.
4. Militarisation du jeu politique : la présence de groupes armés dans des plateformes déclarées depuis Nairobi montre le risque d’une politisation accrue des options militaires.
Conclusion
Nairobi n’est pas seulement une ville étrangère : C’est le symbole silencieux des ambitions, calculs et contradictions du Congo contemporain.
De Genève à Nairobi, du rêve d’unité à la réalité des coalitions, la capitale kényane reste le décor invisible où s’écrit, souvent loin du peuple, une grande partie de l’histoire politique congolaise.