Par Benjamin Babunga

Dans l'Est de la RDC, un proto-État semble prendre forme dans un silence et un flou organisé, tandis qu'ailleurs, surtout dans la capitale Kinshasa et dans une partie de la diaspora, l'illusion d'un Congo uni persiste. 

Entre ces deux réalités qui ne se parlent plus, entre ces deux perceptions qui s'éloignent, le risque grandit de voir le mythe de l'unité congolaise s'installer sans débat.

Sur le terrain occupé, le M23/AFC administre déjà de facto certaines zones. Une bureaucratie parallèle est en place, des infrastructures légères sont mises en service (routes, marchés), une discipline sociale s'installe.

Cela prend la forme de ce qu'on pourrait qualifier de proto-État. Les signaux sont clairs, il s'agit d'un projet de long terme.

Gardez à l'esprit que ce type de structuration n'est pas sans précédent :

- Les LRA (Lord's Resistance Army) en Ouganda ont contrôlé pendant des années des zones rurales où ils imposaient leur loi, sous couvert mystico-religieux.

- Le SPLA (Sudan People's Liberation Army) au Sud-Soudan a progressivement transformé ses territoires en entités politiques avant l'indépendance.

- Le RCD/Goma, a exercé un pouvoir réel sur une partie de l'Est de la RDC, établissant ses propres structures administratives et militaires.

À Kinshasa, y-a-t-il refus de regarder la réalité ? On a comme l'impression qu'il existe un décalage cognitif sans cesse croissant.

Une frange importante de la classe politique et de leurs adhérents semble encore croire à une réunification possible par effet d'annonce ou par une diplomatie déconnectée des réalités profondes, sans transformation mentale ni réparation historique.

Les leaders de partis, figures médiatiques ou intellectuels n'assument pas leur rôle de pédagogues ou de questionneurs. Aucun effort collectif sérieux n'est entrepris pour expliquer au peuple ce qui se passe réellement.

Pire, l'absence de vulgarisateurs capables de traduire la complexité des événements en un langage clair pour le citoyen moyen amplifie l'ignorance et la perméabilité à toutes les propagandes et fake news.

En conséquence, une grande partie de la population congolaise reste prisonnière d'une perception infantilisée des enjeux, traitée comme un enfant par ses propres compatriotes plus instruits.

Plus la situation d'occupation se prolonge, plus les divisions s'enracinent, hélas ces fractures ne sont plus seulement géographiques. Sur les réseaux sociaux, les débats deviennent de plus en plus polarisés entre Congolais de partout, créant une guerre narrative silencieuse.

Même à Kinshasa, capitale symbolique, un malaise muet entre l'indifférence, la résignation et l'aveuglement volontaire s'installe. Il est fort probable qu'un phénomène similaire se développe dans les territoires occupés et certaines diasporas "visibles", avec une séparation mentale croissante.

L'accord de Washington semble, pour l'instant, produire plus d'effets d'annonce que d'impact réel. Sans réforme militaire profonde et sans intégration négociée des réalités locales (y compris des griefs communautaires), toute paix restera de façade.

Nous le disons parce que le pays en a l'expérience, le soupçon et l'esprit critique sont quasi vitaux à ce stade. Il en va de même pour Doha, dont la médiation, déconnectée du terrain congolais, ne peut aboutir à une solution enracinée.

Du coup, ce qui se joue en silence sous nos yeux n'est pas seulement une guerre de position ou de contrôle militaire.

C'est une guerre de formatage territorial, une bataille pour imposer un nouveau mode de fonctionnement collectif sur une portion du pays, sans passer par une déclaration formelle de séparation. L'absence de réaction stratégique équivalente du côté de Kinshasa laisse le champ libre à un phénomène fâcheux qu'est la normalisation du chaos.

Dans ce contexte, si la réunification ne vient pas dans les meilleurs délais, des Congolais s'habitueraient alors, avec le temps, à vivre dans un pays fragmenté, sans même s'en rendre compte pleinement.

Il ne s'agit donc pas uniquement d'un enjeu militaire ou géopolitique, mais d'une urgence mentale et narrative.

Si nous ne reprenons pas l'initiative du récit collectif, si la société civile ne s'érige pas en interface de vérité, d'objectivité et de pédagogie, alors la République démocratique du Congo unitaire deviendra un mythe résiduel, préservé uniquement dans les discours officiels... pendant que le réel aura basculé ailleurs et risque de rester incontrôlable.

Par Benjamin Babunga




Joseph Seven

Joseph Seven - 30/06/2025 16:47 - Répondre 

🤔🤔🤔