![[Tribune] L'armée congolaise actuelle, les FARDC, un fruit du brassage (Benjamin Babunga)](/media/posts/685405e0ed871152331129.jpg)
Par Benjamin Babunga
Je constate avec une inquiétude croissante que de plus en plus d'amalgames circulent autour de la question du BRASSAGE en RDC.
Toute une génération de jeunes, souvent âgés de moins de 30 ans, est littéralement noyée dans un mensonge savamment entretenu par des politiciens qui ont fait de la manipulation et de la diabolisation leur seul fonds de commerce.
Je pense que l'on doit encore rappeler une vérité essentielle : l'armée congolaise actuelle, celle que nous appelons les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), est bel et bien née du BRASSAGE. Je le répète encore : tous les éléments qui ont constitué les FARDC à leur création en 2003 sont le fruit du BRASSAGE.
Il ne s'agit pas d'une opinion de Benjamin. Non ! C'est un fait historique. Commençons par ce petit rappel historique nécessaire...
Forces armées zaïroises, une armée en lambeaux avant même l’avènement de l’AFDL
Les Forces armées zaïroises (FAZ) n'étaient déjà plus une armée digne de ce nom en 1996 (début de la rébellion de l'AFDL de Mzee Laurent-Desiré Kabila).
C'était une armée en lambeaux, incapable de résister. Pour preuve, un pays de la taille d'un continent, avec une armée supposée nationale, s'est effondré en à peine 8 mois face à une rébellion composée en grande partie de jeunes combattants (les fameux "Kadogo").
Cela en dit long sur l'état réel des Forces armées zaïroises (FAZ). J'en parle en connaissance de cause. En octobre 1993, lorsque la guerre civile éclate au Burundi, des milliers de Zaïrois vivant au Burundi trouvent refuge dans leur pays d'origine.
Nombreux se replient alors vers Uvira, ville frontalière du Sud-Kivu. Pour beaucoup d'entre nous, c'était le premier contact réel avec le Zaïre, et surtout de son armée. Et quelle désillusion !
Nous découvrions alors une armée en totale déchéance : des soldats dont les tenues étaient rapiécées, souvent déchirées au niveau des fesses et recousues au fil (on les surnommait ironiquement les "binyotere", une déformation de "clignotant").
Ces militaires erraient dans les marchés pour extorquer les civils (le fameux "kata nyama"). Ils vivaient de larcins de tout genre. De Kinshasa, la capitale, il était peut-être difficile de vivre ceci. Mais dans les régions et autres coins réculés du Zaïre, c'était ça les Forces Armées Zaïroises.
Ceux qui continuent à idéaliser les FAZ comme une grande armée qui a fini par être infiltrée par les rwandais suite au brassage se bercent d'illusions.
En mai 1997, l'AFDL de Laurent-Desiré Kabila prend le contrôle de Kinshasa. Les Forces Armées Zaïroises (FAZ), déjà affaiblies et désorganisées, sont dissoutes. Des milliers de soldats FAZ sont alors envoyés à Kitona, officiellement pour une "rééducation".
Ils seront abandonnés à eux-mêmes pendant près d'un an. C'est d'ailleurs pour cette raison que lorsque la guerre éclate à nouveau en août 1998 (celle qui donnera naissance à la rébellion du RCD-Goma), nombre de ces soldats n'ont d'autre choix que de rejoindre la rébellion, après l'échec de l'Opération Kitona. Là encore, nous n'avions vraiment pas d'armée.
Entre mai 1997 et août 1998, Mzee Laurent-Désiré Kabila, malgré sa volonté, n'a ni le temps ni les moyens de bâtir une véritable armée nationale. Ce qu'il va appeler Forces Armées Congolaises (FAC) n'est qu'une structure héritée de la guerre, dominée par les anciens éléments de l'AFDL (il n'existe presque pas de grade, la plupart d'officiers étant des "Afande") et l'influence des officiers rwandais reste prépondérante dans les décisions stratégiques.
La RDC déchirée par plusieurs mouvements armés
Entre 1998 et 2003, la RDC a traversé l'une des périodes les plus sombres de son histoire. Le pays était "morcelé", ravagé par plusieurs mouvements armés : RCD-Goma, RCD-KML, RCD-National, MLC, etc. Chacune de ces factions disposait de sa propre armée. Les accords de paix signés en décembre 2002 à Pretoria, puis entérinés à Sun City en avril 2003 par l'ensemble des belligérants, ont mis en place une transition politique, à travers la fameuse formule 1+4 : Joseph Kabila conservait son poste de Président de la République, assisté de 4 vice-présidents représentant les principales forces en présence (le MLC, le RCD-Goma, l'opposition politique et la composante gouvernementale).
Mais ces accords ne se limitaient pas à la répartition du pouvoir. Ils posaient aussi les bases d'une nouvelle armée nationale unifiée : les FARDC.
Cette armée devait résulter du BRASSAGE de tous les groupes armés issus du conflit, càd une sorte de fusion encadrée d'ex-combattants venus de tous les camps, formés ensemble, et intégrés dans un seul corps.
Alors que certains aujourd'hui s’acharnent à faire du BRASSAGE un mot sale ou une anomalie, il est bon de rappeler que sans ce processus, il n'y aurait jamais eu de FARDC. Il est malhonnête, voire dangereux, de l'occulter.
Dès août 2003, Joseph Kabila signe le décret instituant officiellement les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Pour la première fois depuis l'éclatement de la guerre en 1998, une armée dite "républicaine" était mise en place, censée regrouper les anciens adversaires autour d'un même uniforme, d'un même commandement et d'un même drapeau.
Joseph Kabila mettra aussi en place l'État-Major Général des FARDC, avec des anciens de toutes les factions militaires ayant participé à la guerre : les éléments gouvernementaux issus des Forces Armées Congolaises (FAC), les ex-rebelles du RCD-Goma, anciennement Armée Nationale Congolaise (ANC), les anciens du MLC, anciennement Armée de Libération du Congo (ALC), et des combattants issus de diverses milices Maï-Maï. Oui, c'est cela, le BRASSAGE.
C'est ce processus qui a permis de jeter les bases des FARDC, et ce sont ces mêmes FARDC qui existent encore aujourd’hui, même si leur cohésion, leur discipline et leur efficacité ont depuis été affaiblies pour plusieurs raisons.
Le Brassage, une tentative de construire une armée Républicaine
Partout à travers le pays, on avait mis en place, entre 2004 et 2006, ce qu'on appelait des "Centres de brassage". J'en suis personnellement témoin. En 2005, à peine sorti de mes études au Burundi, j’ai obtenu mon premier emploi à Uvira (dans le Sud-Kivu). Là aussi, un centre de brassage avait été établi, précisément à Luberizi.
J'y ai vu, de mes propres yeux, des centaines d'hommes venus de tous les horizons : anciens soldats des forces gouvernementales, ex-combattants de rébellions armées, Maï-Maï… tous cantonnés dans un même espace, formés ensemble, encadrés par des officiers, dans une perspective de professionnalisation. À l'issue de ce processus, ces hommes étaient constitués en "Brigades intégrées", qui étaient ensuite déployées à travers le territoire national pour former l'épine dorsale de cette nouvelle armée, les FARDC.
Et ceux qui ne souhaitaient plus poursuivre une carrière militaire entraient dans un programme de démobilisation géré par la CONADER (Commission nationale de désarmement, démobilisation et réinsertion), avec pour objectif de leur offrir un retour à la vie civile dans la dignité. Tout cela a existé.
C'est l'histoire récente de notre pays, et nombreux sont ceux qui peuvent en témoigner. Je pense qu'il est aussi temps de mettre fin à une autre hypocrisie : plusieurs officiers supérieurs que l'opinion publique juge aujourd’hui "loyaux" simplement parce qu'ils ne sont pas rwandophones… sont pourtant eux aussi le pur produit du BRASSAGE. Quelques exemples : - Constant Ndima, feu Jean-Lucien Bahuma : tous deux issus du MLC de Jean-Pierre Bemba, ont intégré les FARDC dans le cadre du BRASSAGE. - Gabriel Amisi, alias "Tango Four", John Tshibangu : anciens du RCD-Goma, également intégrés dans les FARDC grâce à ce même processus de BRASSAGE.
Ceci dit, le BRASSAGE n'a pas été l'infiltration d'une armée par un groupe donné. C'était juste un mécanisme d'intégration globale, voulu par les accords de paix et mis en œuvre sous contrôle des institutions de la transition.
Le brassage n'a pas affaibli une armée solide : il a été une tentative, certes imparfaite et qui a échoué, de construire quelque chose à partir de presque rien.
S'en servir aujourd’hui comme épouvantail ou comme prétexte pour désigner des boucs émissaires relève soit de l'ignorance, soit de la mauvaise foi.
Par Benjamin Babunga
2 Commentaires
Bugandwa Innocent - 20/06/2025 14:17 - Répondre
Très bel article cher Benjamin. Juste un petit commentaire. En fait, personnellement, je pense que l'erreur commise pendant le processus de brassage et de mixage est de n'avoir pas soumis à une formation militaire préalable, les personnes issues des rebellions et des groupes armés. Le processus s'est fait vaille que vaille. Alors qu'avant de reconnaître le statut de militaire et les grades, il fallait FORMER sur le plan physique, idéologique, intellectuel, technique tout ce beau monde et ne garder que ceux qui présentaient des aptitudes à servir dans l'armée. Ça aurait évité d'avoir des militaires qui n'ont jamais fait la guerre, qui ne peuvent pas atteindre une cible à 50 mètres, qui ne peuvent démonter et remonter une arme, qui ne peuvent même pas courir 50 mètres sans s'essouffler. Ou pire de disposer des officiers incapables de commander, incapables d'élaborer une stratégie militaire, de rédiger un rapport etc. Comme ils ne peuvent rien faire, ils se lancent dans le business au sein de l'armée.
Bugandwa Innocent - 20/06/2025 14:14 - Répondre
Très bel article cher Benjamin. Juste un petit commentaire. En fait, personnellement, je pense que l'erreur commise pendant le processus de brassage et de mixage est de n'avoir pas soumis à une formation militaire préalable, les personnes issus des rebellions et des groupes armés. Le processus s'est fait vaille que vaille. Alors qu'avant de reconnaître le statut des militaires et les grades, il fallait FORMER sur le plan physique, idéologique, intellectuel, technique tout ce beau monde et ne garder que ceux qui présentaient des aptitudes à servir dans l'armée. Ça aurait évité d'avoir des militaires qui n'ont jamais fait la guerre, qui ne peuvent pas atteindre une cible à 50 mètres, qui ne peuvent démonter et remonter une arme, qui ne peuvent même pas courir 50 mètres sans s'essouffler. Ou pire de disposer des officiers incapables de commander, incapables d'élaborer une stratégie militaire, de rédiger un rapport etc. Comme ils ne peuvent rien faire, ils se lancent dans les businesses au sein de l'armée.