En 2002, Médecins Sans Frontières (MSF) ouvrait le premier centre de traitement ambulatoire offrant une prise en charge gratuite aux personnes vivant avec le VIH à Kinshasa. 

20 ans plus tard, il s’agit d’un anniversaire en demi-teinte pour l’organisation et les patients : malgré des progrès considérables enregistrés en RDC au cours des vingt dernières années, des lacunes majeures subsistent dans l’accès au dépistage et au traitement, causant des milliers des décès évitables chaque année.

Lorsque les équipes de MSF ouvrent en mai 2002 le tout premier centre de traitement gratuit dans la commune de Lingwala à Kinshasa, la situation est critique : plus d’un million d’hommes, femmes et enfants vivent alors avec le VIH en RDC, et le virus y tue entre 50 000 et 200 000 personnes chaque année, selon l’ONUSIDA.

« À l’époque, être infecté par le VIH équivalait pour beaucoup à une condamnation à mort », explique Dr Maria Mashako, coordinatrice médicale pour MSF en RDC. 

« Les traitements ARV étaient extrêmement rares dans le pays, et leur prix empêchait une écrasante majorité des patients d’en bénéficier. MSF a été la première organisation à introduire le traitement ARV gratuit pour ses patients. Depuis lors, nous n’avons jamais cessé de nous battre pour en élargir l’accès au plus grand nombre », ajoute-t-elle.

MSF, moteur d’avancées contre le VIH/SIDA

Pour l’organisation médicale internationale, qui marque cet « anniversaire » par une série d’activités publiques dans la capitale (dont une exposition rétrospective, voir infra), ces 20 ans de prise en charge sont l’occasion de jeter un regard en arrière sur les avancées obtenues et les défis à relever.

« Rien qu’à Kinshasa, MSF a appuyé une trentaine de structures de soins au cours des deux dernières décennies pour offrir gratuitement des tests de dépistage, assurer l’accès aux traitements et à des soins de qualité », explique Dr Mashako. 

« Près de 19.000 personnes ont été mises sous traitement gratuit avec notre soutien, et nous sommes fiers d’avoir initié des approches innovantes, aux côtés d’autres organisations de la société civile et du Programme National de Lutte Contre le Sida », poursuit-elle.

En 2005, alors que seule une dizaine de médecins par province étaient habilités à prescrire les ARV, MSF développe un modèle de soins pilote, permettant pour la première fois à des infirmiers de prescrire le traitement et d’assurer le suivi des personnes vivant avec le VIH et faisant ainsi grimper en flèche le nombre de patients pris en charge. 

Le lancement, en 2010, des premiers Postes de Distributions (PODIs) communautaires d’ARV, gérés par des patients, en collaboration avec le Réseau National des Organisations à Assisses Communautaires (RNOAC), constitue une autre révolution, et permettra également d’élargir l’accès au traitement à des milliers de patients.

« Malheureusement, le travail mené par MSF ces 20 dernières années s’est inscrit dans un contexte général d’insuffisance des moyens disponibles dans la lutte contre le VIH/SIDA », déplore Dr Mashako.

« En 2008, quand nous avons mis sur pied le Centre Hospitalier Kabinda pour prendre en charge les nombreux patients au stade avancé de la maladie, nous ne pensions pas qu’il serait toujours plein plus d’une décennie plus tard. Mais c’est le cas… Et cela traduit les immenses difficultés de la lutte contre le VIH/SIDA dans le pays », renchérit-elle. 

Lacunes majeures et reculs inquiétants

La situation en 2022 est incomparable avec celle de 2002 : l’accès au traitement a été largement étendu et ces dix dernières années, le nombre de nouvelles infections a chuté de moitié. 

Pourtant, en 2021, encore 14.000 personnes sont décédées des suites du VIH en RDC selon l’ONUSIDA, attestant des lacunes dont souffrent l’ensemble des piliers de la lutte – prévention, dépistage, mise sous traitement et soins.

« La RDC dépend quasiment exclusivement des bailleurs internationaux dans la lutte contre le VIH/SIDA. Or, leur appui est insuffisant face à l’ampleur des défis. C’est une réalité que nous dénonçons depuis des années », souligne Dr Mashako qui affirme que « l’année passée, l’ONUSIDA estimait qu’une personne sur cinq vivant avec le VIH en RDC n’avait toujours pas accès au traitement. Le niveau des financements disponibles est en grande partie responsable de l’absence de dépistage volontaire gratuit, du manque de formation des prestataires de soins, des ruptures chroniques d’intrants et des disparités massives entre provinces. »

À titre d’exemple, note-t-il, « seules trois d’entre elles ont les équipements adéquats pour assurer la mesure de la charge virale des patients, pourtant essentielle pour évaluer l’évolution de l’infection et l’efficacité de leur traitement. »

Ces dernières années, des reculs ont même été observés dans la lutte contre le VIH/SIDA. Selon le Programme National de Lutte Contre le Sida, les activités destinées à réduire la transmission du VIH de la mère à l’enfant – par le dépistage des femmes enceintes et la mise sous traitement – sont en baisse. 

Un quart des enfants nés de mère séropositives n’a pas eu accès à la prophylaxie pédiatrique à la naissance, notamment à cause des ruptures d’ARV pédiatriques. 

Plus globalement, les deux tiers des enfants vivant avec le VIH ne sont pas sous traitement ARV.

« À ce rythme, nous sommes très loin d’arriver à une génération sans SIDA d’ici 2030 », s’inquiète Dr. Mashako. 

« Dans les centres de santé que nous appuyons à Kinshasa, plus d’un cinquième des patients diagnostiqués avec le VIH sont déjà dans un stade avancé de la maladie. Pour nos équipes, qui sont témoins au quotidien du combat et des obstacles rencontrés par les patients, ces 20 ans de prise en charge du VIH/SIDA constituent, à bien des égards, un anniversaire au goût amer », conclut-elle.